lundi 27 mai 2013

La Caverne de Platon


La Caverne de Platon - Illusion et Réalité

" … Maintenant, représente-toi, de la façon que voici, l'état de notre nature, relativement à l'instruction et à l'ignorance. Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière. Ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou, enchaînés, de sorte qu'ils ne peuvent ni bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête. La lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin derrière eux. Entre le feu et les prisonniers passe une route élevée. Imagine que, le long de cette route, soit construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles.

Figure-toi maintenant, le long de ce petit mur, des hommes portant des objets de toutes sortes, qui dépassent le mur, et des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre, en bois et en toute espèce de matière. Naturellement, parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent.

Voilà, s'écria Glaucon, un étrange tableau et d'étranges prisonniers.

Ils nous ressemblent. Et d'abord, penses-tu que, dans une telle situation, ils n'aient jamais vu autre chose d'eux mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face ?

Et comment, observa Glaucon, s'ils sont forcés de rester la tête immobile durant toute leur vie ?

Et pour les objets qui défilent, n'en est-il pas de même ?

Sans contredit.

Si donc ils pouvaient s'entretenir ensemble, ne penses-tu pas qu'ils prendraient pour des objets réels les ombres qu'ils verraient ?

Il y a nécessité.

Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l'un des porteurs parlerait, croiraient-ils entendre autre chose que l'ombre qui passerait devant eux ?

Non, par Zeus !

Assurément, de tels hommes n'attribueront de réalité qu'aux ombres des objets fabriqués. Considère maintenant ce qui leur arrivera naturellement, si on les délivre de leurs chaînes et qu'on les guérisse de leur ignorance. Qu'on détache l'un de ces prisonniers, qu'on le force à se dresser immédiatement, à tourner le cou, à marcher, et à lever les yeux vers la lumière : en faisant tous ces mouvements, il souffrira et l'éblouissement l'empêchera de distinguer ces objets dont tout à l'heure il ne voyait que les ombres. Que crois-tu donc qu'il répondra si quelqu'un vient lui dire qu'il n'a vu jusqu'alors que de vains fantômes, mais qu'à présent, plus près de la réalité et tourné vers des objets plus réels, il voit plus juste ? Si, enfin, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l'oblige, à force de questions, à dire ce que c'est ? Ne penses-tu pas qu'il sera embarrassé, et que les ombres qu'il voyait tout à l'heure lui paraîtront plus vraies que les objets qu'on lui montre maintenant ?

Et si on le force à regarder la lumière elle-même, ses yeux n'en seront-ils pas blessés? N'en fuira-t-il pas la vue pour retourner aux choses qu'il peut regarder, et ne croira-t-il pas que ces dernières sont réellement plus distinctes que celles qu'on lui montre ?

Assurément !

Et si on l'arrache de sa caverne par force, qu'on lui fasse gravir la montée rude et escarpée, et qu'on ne le lâche pas avant de l'avoir traîné jusqu'à la lumière du soleil, ne souffrira-t-il pas vivement, et ne se plaindra-t-il pas de ces violences ? Et, lorsqu'il sera parvenu à la lumière, pourra-t-il, les yeux tout éblouis par son éclat, distinguer une seule des choses que, maintenant, nous appelons vraies ?

Il ne le pourra pas, du moins dès l'abord.

Il aura, je pense, besoin d'habitude pour voir les objets de la région supérieure. D'abord, ce seront les ombres qu'il distinguera le plus facilement, puis les images des hommes et des autres objets qui se refléteront dans les eaux, ensuite les objets eux-mêmes. Après cela, il pourra, affrontant la clarté des astres et de la lune, contempler plus facilement, pendant la nuit, les corps célestes et le ciel lui même, que, pendant le jour, le soleil et sa lumière. A la fin, j'imagine, ce sera le soleil - non ses vaines images réfléchies dans les eaux ou en quelque autre endroit - mais le soleil lui-même à sa vraie place, qu'il pourra voir et contempler tel qu'il est.

Nécessairement !

Après cela, il en viendra à conclure au sujet du soleil, que c'est lui qui fait les saisons et les années, qui gouverne tout dans le monde visible, et qui, d'une certaine manière est la cause de tout ce qu'il voyait avec ses compagnons dans la caverne. Or donc, se souvenant de sa première demeure, de la sagesse que l'on y professe, et de ceux qui furent ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu'il se réjouira du changement et plaindra ces derniers ?

Si, certes.

Et s'ils se décernaient entre eux louanges et honneurs, s'ils avaient des récompenses pour celui qui saisissait de l'oeil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui avaient coutume de venir les premières ou les dernières, ou de marcher ensemble, et qui par là était le plus habile à deviner leur apparition, penses-tu que notre homme fût jaloux de ces distinctions, et qu'il portât envie à ceux qui, parmi les prisonniers, furent honorés et puissants ? Ou bien, comme ce héros d'Homère, ne préféra-t-il pas mille fois n'être qu'un valet de charrue, au service d'un pauvre laboureur, et souffrir tout au monde plutôt que de revenir à ses anciennes illusions de vivre comme il vivait ?

Je suis de ton avis, dit Glaucon, il préfèrera tout souffrir plutôt que de vivre de cette façon là.

Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s'asseoir à son ancienne place. N'aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil ? Et s'il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n'ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux ne se soient remis (car l'accoutumance à l'obscurité demandera un temps assez long), n'apprêteront-ils pas à rire à ses dépens, et ne diront-ils pas, qu'étant allé là-haut, il en est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n'est même pas la peine d'essayer d'y monter ? Et si quelqu'un tente de les délier et de les conduire en haut, et qu'ils puissent le tenir en leurs mains et le tuer, ne le tueront-ils pas ?

Sans aucun doute.

Maintenant, mon cher Glaucon, il faut appliquer point par point cette image à ce que nous avons dit plus haut. Comparer le monde que nous découvre la vue au séjour de la prison et la lumière du feu qui l'éclaire, à la puissance du soleil. Quant à la montée dans la région supérieure et à la contemplation de ses objets, si tu la considères comme l'ascension de l'âme vers le lieu intelligible, tu ne te tromperas pas sur ma pensée, puisque tu désires la connaître. Dieu sait si elle est vraie. Pour moi, telle est mon opinion : dans le monde intelligible, l'idée du bien est perçue la dernière, et avec peine, mais on ne la peut percevoir sans conclure qu'elle est la cause de tout ce qu'il y a de droit et de beau en toutes choses. Elle est, dans le monde visible, engendrée par la lumière, souveraine de la lumière. Dans le monde intelligible, c'est elle-même qui est souveraine et qui dispense la vérité et l'intelligence. Il faut la voir pour se conduire avec sagesse dans la vie privée et dans la vie publique.

Je partage ton opinion, autant que je le puis.

Eh bien ! Partage-la encore sur ce point, et ne t'étonne pas que ceux qui se sont élevés à ces hauteurs ne veuillent plus s'occuper des affaires humaines, et que leurs âmes aspirent sans cesse à demeurer là-haut. Mais penses-tu qu'il soit étonnant qu'un homme, qui passe des contemplations divines aux misérables choses humaines, ait mauvaise grâce et paraisse tout à fait ridicule lorsque, ayant encore la vue troublée et n'étant pas suffisamment accoutumé aux ténèbres environnantes, il est obligé d'entrer en dispute, devant les tribunaux ou ailleurs, sur des ombres de justice ou sur les images qui projettent ces ombres, et de combattre les interprétations qu'en donnent ceux qui n'ont jamais vu la justice elle-même... "

Platon - La République - Livre VII

Les " habitants de la caverne " mettent à mort celui qui ose déranger leurs représentations habituelles, et qui tente de leur indiquer le chemin d'une vraie vision intérieure. Cette allégorie de la caverne est une métaphore du courage du philosophe et de sa responsabilité vis-à-vis des autres hommes.

Chaque être humain a besoin d'amour et de tendresse. Il a besoin de connaître le véritable sens de son existence. Chaque être est unique. Chaque voie est unique. Encore faut-il qu'il ait le courage de se libérer de l'esprit moutonnier, des chaînes de l'illusion des sens, de la matrice, de l'asservissement à la matière et au consumérisme, aux pouvoirs - politique, justice, médias, corporations - et autres prestidigitateurs.

La Connaissance intérieure libère.