mercredi 3 juillet 2013

Le Monolithe de 2001


Kubrick : Signification du monolithe de 2001 Odyssée de l'Espace.

Pour comprendre la signification du monolithe noir de 2001 odyssée de l'espace il ne faut pas oublier l'importance que jouent, chez Kubrick, la lumière et le regard. La lumière est la condition du spectacle, du spectacle filmique en particulier, et donc d'un regard cherchant à se combler de beautés. Elle est aussi, de manière tout aussi classique, le symbole de l'intelligence.

Le monolithe est d'abord un objet intriguant mais doué d'un grand pouvoir de séduction visuelle. Il attire autant qu'il inquiète. Au reste, dans le film, le spectacteur ne voit pas directement le monolithe mais d'abord l'effet qu'il provoque sur un des pré-humains blottis dans la grotte. Il s'annonce par l'association d'un regard, d'une inquiétude et d'une excitation. Le monolithe fait événement. Il est l'objet fictionnel par excellence du film. Fiction dans la fiction, il est aux protagonistes du film ce que le film est aux spectateurs de la salle de cinéma. Lesquels partagent avec les premiers l'interrogation sur le sens de cette chose noire et d'un parallélépipédisme parfait.

Suit une séquence où, peu à peu, les pré-humains vont manifester un intérêt presque cultuel pour l'objet. Et alors que les "animaux non humains" ne s'intéressent qu'aux choses qu'ils peuvent manger ou à celles avec lesquelles ils peuvent s'unir sexuellement les pré-humains sont irréstiblement attirés par lui.

L'objet ne se mange ni ne s'offre au sexe mais il est respecté. Un  pré-humain pose la main sur le monolithe comme s'il devait recevoir en échange une initiation.

Soudain le monolithe fait peur : une étrange lueur semble émaner de son obscurité compacte. C'est  une nouvelle aube qui se lève : l'entrée dans l'histoire humaine.

Quelques millions d'années plus tard...

Nous sommes dans l'espace. Un groupe de scientifiques cosmonautes cherchent à comprendre ce qu'est ce monolithe noir planté au fond d'une fosse d'une planète lointaine.

Le premier pré-humain à voir le monolithe, s'il est envore velu, a le visage nu.

Les premiers humains à voir l'objet sont vêtus d'une combinaison spatiale et leur visage est séparé de l'extérieur par une vitre.

Un cosmonaute s'apprête à faire une photo de groupe avec, en fond, le mystérieux monolithe. Mais, comme pour la "scène primitive", les humains vont être effrayés par la puissance lumineuse du noir objet.

La troisième et dernière apparition du monolithe a lieu au cours de la dernière séquence. Nous sommes comme dans une chambre d'hôtel virtuelle pastichant un intérieur du XVIIIe siècle.

Cette troisième apparition est annoncée en réalité par la vision du monolithe dans l'espace. Cette vision fait signe d'une relation plus "fusionnelle" du cosmonaute avec le monolithe. Au terme de ce qui ressemble à une étreinte avec le monolithe le cosmonaute va devenir un "enfant-étoile".

La chambre : le voyageur de l'espace voyage désormais dans le temps. En quelques minutes de film il se voit devenir un vieillard comme si le temps, s'étant d'abord comprimé, se détendait soudainement comme un gaz.

Devenu vieillard le voyageur aperçoit le monolithe comme s'il espérait quelque chose de sa puissance. L'éternité ?

Veillard centenaire le voyageur sera dans l'incapacité motrice de toucher le monolithe. Mais celui-ci va réaliser son rêve d'éternité : le vieillard va se transformer en une bulle embryonnaire que le monolithe va absorber puis libérer dans l'espace.

Le personnage du monolithe intervient donc trois fois dans le récit mis en scène par Kubrick.

1. Une première fois pour ouvrir le passage du pré-humain vers l'humanité technicienne et libérée de la pesanteur.

2. Une seconde fois, et après que le voyageur de l'espace ait réussi à déjouer les plans criminels de l'ordinateur Hal, pour conduire ce qui semble être le survivant d'une aventure dans une traversée des temps y compris du sien propre.

3. Une troisième fois pour absorber le voyageur devenu centenaire et transformé en une bulle de lumière embryonnaire pour le libérer à nouveau dans l'espace, le transformant en une sorte de petite planète pourvu d'un regard à la fois émerveillé et empreint de mélancolie.

Mais quelles significations pouvons-nous prêter à ce monolithe noir ? A première vue il symboliserait l'entrée d'une espèce d'abord naturelle dans l'ère de l'historique et du progrès.

Il faut cependant pleinement reconnaître que c'est une stèle, et une stèle de couleur noire.

Je proposerais l'hypothèse suivante : le monolithe noir est le symbole de l'intelligence de l'animal humain et c'est pourquoi il est associé à la lumière. Mais il est aussi une énigme : celle de la part obscure et très peu compréhensible de cette lumière. Cette part obscure a quelque chose à voir avec la signification en réalité trés peu humaine de l'intelligence. Elle reste, même trés grande, une intelligence animale.

Cela veut dire qu'il faut accorder au monolithe qu'il signifie aussi ce qu'il est : le signe d'un processus de "monolithisation".

Le film montre trois grandes étapes de ce processus.

1. Une espèce animale se détache du monde naturel pour créer une histoire dont la dynamique est déterminée par l'association entre des techniques guerrières et l'agressivité. Telle est le monolithe de l'humanité elle-même. Celle-ci se sépare de tout le reste de l'univers naturel.

2. A l'intérieur même de l'espèce humaine, d'abord hautement diversifiée, un groupe va peu à peu se séparer et dominer l'ensemble. Tel serait le groupe des "hommes blancs". Et c'est la seconde phase du processus de monolithisation.

3. Enfin, à l'intérieur même de ce groupe, la technique elle-même, pour avoir été conçue au plus prés de l'humain, va tendre à la monolithisation en l'espèce de la prise de pouvoir par l'ordinateur de la station spatiale et son projet d'en exterminer les habitants "animaux".

In extremis, car il faut bien un témoin humain (il s'agit en réalité du spectateur lui-même) le dernier habitant de la station parvient à "tuer" l'ordinateur, notamment en déconnectant des petits monolithes blancs et lumineux.

L'homme sort vainqueur de la confrontation. Apparemment seulement car, en réalité, il s'incorpore à ce point ses propres inventions qu'il finit par muter en devenant un voyageur temporel. Il avait déjà perdu ses racines terrestres et spatiales. Il perd maintenant ses racines "biographiques" et temporelles.

Il devient alors comme le pur regard d'une bulle ou d'un oeuf embryonnaire spatial sans aucune descendance possible. Telle est la dernière étape du processus de monolithisation.

Kubrick a certes filmé l'aventure spatiale d' un petit groupe de cosmonautes et, pour finir, d'un seul voyageur. Cette Odyssée n'est même pas tragique. Elle est désolante et inspire de la mélancolie.

Nous pouvons seulement espèrer pouvoir prendre d'autres chemins que ceux qui conduisent à cette désolation.

Il ne semble pas que Kubrick fasse seulement le procés de la technique ou de l'homme technicien ou de "l'arraisonnement" au sens heideggérien.

Car sous la technique gronde en réalité l'agressivité et la violence humaine. L'outil est fondamentalement une arme.

S'il y a un procés ce serait plutôt celui du "darwinisme social". Car la technique nous est montrée toujours prise dans un processus de sélection du plus fort. Américains et Russes, tous blancs, se partagent le pouvoir mondial. L'ancien antagonisme n'était en réalité qu'une méthode inconsciente de stimulation pour parvenir à la domination mondiale et sans partage de "l'homme blanc".

L'agressivité "d'espèce", le goût pour la sélection des plus forts, qui sont au bout du compte ceux qui sont le mieux équipés techniquement pour détruire et coloniser, constitueraient la part obscure, sombre et glacée de l'intelligence humaine. Ce dont témoigne le monolithe.

Le pire, et nous retrouvons ici le thème de la lumière comme condition du spectacle, est que nous prenons un grand plaisir esthétique aux rites violents de la sélection des plus forts. Lors même que, et telle est la part obscure, nous ne nous apercevons pas que cette sélection est en réalité un processus de destruction, de "monolithisation".

Le monolithe noir est la stèle funéraire du triomphe de l'homme blanc. Celui-ci est victorieux mais règne sur un désert.

Source et images : Le philoblogZophe